« La solitude » d'après Alexander Harrison. Entretien entre l’artiste et M. Johns - 2014.
M.J. : Cette toile semble seule, à côté des autres dans votre atelier. Comment est-elle née ?
Y.Q. : J’ai vu une peinture de Thomas Alexander Harrison, peintre américain, au musée d’Orsay « La Solitude » réalisée en 1893. Un petit format 10 x 17cm, pas très loin de l’immense « Enterrement » de Courbet. La toile m’a touché immédiatement. C’est instinctif. Ensuite, j’ai vu.
La barque, l’homme ou la femme suivant l’angle depuis lequel on se positionne pour regarder, et la rame inutile forment une tache claire, presque blanche sur les eaux sombres. Un lac, un étang. Cet espace, liquide, occupe les deux tiers, sinon plus, de l’image. En haut un bandeau sombre figure un rivage planté d’arbres feuillus. Ce bandeau vient couper la tête du personnage. Son reflet vient se mélanger aux taches lumineuses des nénuphars sur l’eau. J’aime ce mélange, le reflet et le réel. Qui dit le plus : la forme ou le reflet ? La solitude. La solitude n’existe que dans la contemplation des autres. Je suis seul, tandis que je vois d’autres ensemble. Je marche seul dans les rues de la ville, observant les taches de lumière à la fenêtre des maisons où les familles, j’imagine, sont réunies. Je ne suis qu’un reflet solitaire, dans la multitude des lumières.
Ce bandeau qui figure la berge, en hauteur, a immédiatement fait écho à certaines peintures déjà réalisées dans mon atelier. Une ligne large. Sombre. Est-ce le monde réel ? Le monde n’est-il pas dans le reflet ? Intention curieuse du peintre d’avoir superposé la tache claire d’un nénuphar sur le reflet du visage qui scrute la berge. L’œuvre est classée dans le mouvement des symbolistes. On peut la classer où l’on veut. Qu’importe. Je n’ai voulu conserver que la barque. Pas de personnage dans ce que je figure. La barque sans la rame, inutile. J’ai conservé les lumières, et la division de la toile.
M.J. : Lorsque je dis qu’elle semble seule, c’est qu’elle ne ressemble pas aux autres.
Y.Q. : Le fait de ressembler ou pas, n’a aucune importance. Ce n’est pas ça qui compte. Le style ne consiste pas à s’imiter, à s’imiter soi-même. Il est dans la pensée de l’exécution.
M.J. : Il y a une seconde toile qui semble faire suite à celle-ci « Obscure ».
Y.Q. : Oui, elle fait suite. Le titre l’atteste. Dans celle-ci, j’ai voulu aller un peu plus loin. Je n’ai conservé que les reflets et j’ai accentué la ligne sombre. La solitude est dans celui qui regarde, ou qui peint.
M.J. : Le peintre est solitaire ?
Y.Q. : Oui, mais pas uniquement le peintre. Je ne vois pas l’obscurité comme un symbole de la solitude, ou d’une menace quelconque, mais bien plutôt comme une évidence : l’obscurité fait voir.