Louët, là où je suis. Autofiction 30 min NB 2010

Louët est une toute petite île située dans la baie de Morlaix. Une île minuscule, une micro montagne dressée sur la mer, avec un phare clignotant vert, deux rayons lumineux brefs, un rayon long. Je logeais dans l’ancienne maison du gardien de phare, qui, parait-il, avait de nombreux enfants. La maison a été restaurée et, hélas, l’histoire en a profité pour s’en aller, disparaître.

Le tournage s’est déroulé en mars. Il a plu chaque jour. Temps gris, vents forts, éclaircies et des lumières extraordinaires. Contrairement à 23 jours, mon film précédent, où nous étions parfois trois sur l’Archipel des Glénan, j’étais absolument seul sur cette île-montagne. Comme pour une ascension en solitaire. Il me fallait monter le matériel, me filmer, puis monter à nouveau le matériel, me filmer,…

Dans ce film, plus encore que dans le précédent, je me dédouble. Il y a un moi qui réalise, il y a moi qui vit, ou qui joue. Parfois je ne sais plus vraiment.

Ce n’est pas un documentaire, ni une fiction, mais une autofiction. Autoproduction.

Cette photographie, où mes bras s’élèvent comme des ailes, a été prise par Julien Thomas alors qu’il me laissait à l’île. Si je lève ainsi mes bras, c’est que, lors de notre arrivée, nous avons dérangé une colonie de goélans qui y passaient tranquillement l’hiver. Je n’aime pas troubler l’ordre naturel de la Terre. J’ai su tout de suite que le film, son histoire, aurait à voir avec ces oiseaux blancs, gris, et noirs, que je venais de chasser.

 

 

 

Croire en une histoire

Je me souvenais, avant de partir, de tout ce que je n’avais pu faire dans mon précédent film. Et puis surtout, depuis deux ans j’avais beaucoup peint, en noir et blanc. Nul doute que mon travail en peinture ait nourri davantage ce film que le précédent. Pour celui-ci, j’avais préparé mon costume, un rendu contrasté entre le haut et le bas.

Sur Louët, absolument seul, l’histoire a mis du temps à se construire, à prendre corps. Je dois filmer comme si elle existait déjà, croire en elle, croire en sa venue, même si je doute, même si je ne la vois pas encore, je dois agir, voir, observer, puis filmer. Agir contre le vide. Alors il y a bien sûr le phare clignotant, comme un symbole mécanique, puis les oiseaux, la lumière et l’obscurité. Sur ce lieu en effet, lumière et obscurité se partagent le pouvoir. L’alternance de la lumière et de l’obscurité, cet ordre puissant qui régit le monde.

Les oiseaux ont une place importante dans le film. Seul sur une île, ils sont vos seuls compagnons. Chassés par ma venue, sauvages, très sauvages, contrairement à ceux qui vivent dans les ports, ils m’observaient de loin, du ciel. Ils ont des guetteurs, qui en l’air, allongent leur long cou pour détecter le moindre mouvement, la moindre tâche de couleur inhabituelle. Etonnant.

Patient, j’ai dû rester caché dans la maison de longues heures afin d’arriver à les surprendre le soir et faire les quelques images d’eux. Et puis il y a leurs cris, incroyables, puissants.

Petit à petit, très vite en fait, j’ai changé. Plus sensible, un regard plus clairvoyant, plus vif, plus sauvage, une attitude différente, m’adaptant aux oiseaux, et au lieu. J’aime cette métamorphose. C’est un instant où on se sent plus vivant.

Au fil du tournage, je sentais qu’il fallait qu’il y ait une séquence qui résonne comme une fin, même si ce n’en n’est pas une. Il n’y a pas de fin dans le cycle lumière-obscurité. Une nuit, j’ai été saisi par une angoisse. Je me suis dit, soit prudent, quand tu es là-haut et que tu filmes, tu oublies qu’à quelques centimètres, il y a le vide, les roches. J’ai alors vu plusieurs fois mon corps chuter et s’écraser en bas contre les rochers. C’est de cette angoisse qu’est née l’idée de la fin du film. J’ai mis deux jours pour la mettre en scène et la filmer.

Un autre je

Se fabriquer une doublure peut s’avérer utile dans certaines situations. Je n’y ai pas pensé sur le moment, mais c’est la forme la plus concrète de cet autre moi dont je parle dans 23 jours sur l’île, au sujet de l’autofiction. La construction de ce double est intervenue soudainement pour les besoins du tournage et spécifiquement de la dernière scène.

Les peintures du film

Le personnage exécute deux séries de peintures sur papier. La première série est faite tout en haut de l’île. Il peint ce qu’il voit, les îlots nombreux de la baie, les mouvements de la mer, quelques oiseaux marins. Ces peintures ont été réalisées spécifiquement pour le film. Je voulais que leur exécution soit sonore. Dans un premier temps, je ne montre pas ce qu’il fait, on peut juste l’imaginer. Il humidifie le papier en l’exposant sous une pluie fine, ou crache dessus. C’est une technique de l’estampe, on peut aussi le faire avec du saké… La deuxième série est exécutée en bas, sur les marches de l’entrée de la maison. Là, il peint autre chose. Une vision, une intuition, quelque chose qui vient de l’intérieur.

yann louet