Louët

J’ai rencontré Yann Queffélec, sur l’écran, il était aux Glénan. J’écoutais sa voix off décortiquer ses recherches sur le temps qui passe à cet endroit précis de la planète. Je l’imaginais préparer chaque sortie pour filmer sur le motif avec la précision, la patience et l’envie du marin décidé qui ravaude ses filets ou prépare ses lignes avant la marée. Paré à capter le temps présent.J’ai encore le souvenir de ce qui m’avait alors convaincu dans son œuvre. L’artiste montre ces grands espaces et de petits moments du quotidien jusqu’aux détails de presque rien qui bâtissent les forces et les fragilités de l’être humain, aussi son âme. Yann Queffélec faisait d’une île son navire immobile pour mieux sentir les limites du paysage intérieur et saisir le temps de la vie. Il a décidé de capter ces espaces et nous les donne à vivre simplement avec une amplitude infinie.

Quelques mois plus tard, au printemps 2010, sur la côte nord du Finistère dans le petit port de Térenez, j’ai retrouvé l’artiste. Il avait accepté l’invitation que je lui avais faite. Partir sur l’île Louët, ce rocher de 40 mètres de long, 10 mètres de large et 14 de haut, pour vivre et travailler seul durant une semaine. J’avais organisé cette résidence artistique grâce à la mise à disposition de l’unique maison de cette île par la Ville de Carantec. En échange, Il était convenu que nous présentions le film réalisé au cinéma l’Etoile de Carantec, lorsqu’il serait terminé.

C’est Irène, une amie marin qui connait bien la baie de Morlaix et l’île, qui nous a fait passer l’anse du Trégor au Léon; à bord de sa petite coque à moteur. Derrière le château du Taureau, Nous avons accosté l’île posée à quelques coups de godilles de la berge et des plages de Carantec. Le réalisateur se réjouissait de passer du temps sur une île aussi petite. Plus l’espace était réduit, plus le terrain de jeu devenait immense. J’étais heureux de lui proposer la grandeur de cette solitude sur cette île que j’aime depuis que j’y ai passé des moments forts de mer.

Tous les trois, au soleil, sur la magnifique terrasse abritée du vent, nous avons trinqué et discuté. Nous lui avons révélé quelques secrets de l’île avant de le laisser découvrir le reste. En reprenant la mer, je me suis retourné et Yann Queffélec, les bras au vent, se prenait déjà pour un oiseau de mer sur son caillou.

C’est étrange, aujourd’hui, je n’ai plus le souvenir d’y être retourné pour le ramener à terre.

L’île Louët, là où il est donc encore.

Yann Queffélec est pour toujours, un pêcheur d’espaces.

Julien Thomas, Médiateur culturel.