Le Robinson des Glénan

Février 2007. Un homme, seul, arpente les rivages de l’Ile Saint-Nicolas sur l’Archipel des Glénan. Des rivages sans cesse redessinés par la tempête, battus par les vents et les flots, recommencés éternellement, offrant au regard de l’artiste une époustouflante beauté qui ne s’offre qu’à l’intrépide et au courageux, à celui qui sait se tenir à l’écart du monde pour en approcher la fragile splendeur.

23 jours sur l’île. Robinson volontaire, exilé par nature, Yann Queffélec, peintre et réalisateur, aura passé 23 jours, seul, sur l’île Saint-Nicolas afin d’y réaliser un documentaire éponyme, dans lequel il se met en scène, éloigné des hommes mais intégré aux éléments, pour mieux questionner le sens d’une vie. Réduire sa présence à l’ultime humilité – se nourrir et regarder – pour mieux voir l’infinie beauté que terre, mer et ciel conjugués composent. Après cette aventure (re)fondatrice, le vidéaste et documentariste Yann Queffélec fait éclore, plus nettement qu’alors, le peintre. Le trait se simplifie, l’intention s’épure, pour mieux atteindre l’évidence. Avec la plus grande économie de moyens (encore l’ultime humilité ?), toiles blanches et peinture noire, Yann peint les rivages, leur universelle majesté, ceux des Glénan principalement, mais pas seulement. L’homme n’y figure jamais, pas plus que ce qu’il pourrait y avoir construit. L’illusion de rivages primaires, comme il existe encore, trop rares, des forêts primaires. Pour se nourrir, Yann se retire du monde, pour créer, il se retire encore du monde, passant seul des semaines dans son atelier, et enfin, ce qu’il donne à voir est le monde retiré des hommes. D’une évidente beauté, d’une apaisante harmonie. Des rivages à la fois vrais et imaginés, tellement justes pour celles et ceux d’entre-nous qui s’y promènent tant la beauté d’un instant paraît irréelle, tant elle est éphémère, renouvelée instantanément au gré du mouvement des éléments.

Le séjour de Yann sur l’Archipel des Glénan scellera l’union de l’artiste et de la commune de Fouesnant-les Glénan. Trois expositions lui auront été consacrées de 2008 à 2018 et une œuvre magistrale lui a été commandée pour orner le foyer de l’Archipel, centre des arts et pôle d’action culturelle de la ville. Au cours de la saison culturelle 2017/2018 de l’Archipel, saison anniversaire durant laquelle étaient programmés celles et ceux des artistes qui avaient le plus comptés durant ses dix premières années d’existence, Yann, bien sûr, figurait au premier rang, lui qui était à nos côtés depuis le début de l’aventure en 2007. A cette occasion une longue exposition lui a été consacrée présentant des rivages, bien sûr, mais aussi ses œuvres plus récentes, les « noires » comme il les résumait, par opposition aux « blanches » iodées, sur lesquelles il représentait ce que nul ne peut voir, comètes et astéroïdes, fragments de terre, peut-être promesses de beauté, ailleurs.

Par un funeste coup du sort, nous apprenions au dernier jour de cette saison, en juillet 2018, son décès brutal en montagne, loin des rivages mais proches des cîmes qu’il avait pour projet de peindre à l’avenir. Nous en sommes affligés, perdant si soudainement l’homme que nous aimions, mais aussi l’artiste, par essence irremplaçable, qui comme aucun autre a su saisir la beauté de notre littoral.

Frédéric Pinard, Directeur du Centre culturel l’Archipel, Fouesnant-Les Glénan.